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Ouverture de compte bancaire au Luxembourg : un parcours semé d’embûches

Le Luxembourg est depuis longtemps considéré comme un des centres financiers les plus stables et attrayants d’Europe. Pour beaucoup d’entrepreneurs, y créer une Société à responsabilité limitée (SARL) représente une option judicieuse : juridiquement solide, fiscalement intéressante, bien réglementée. Pourtant, un des obstacles majeurs (souvent sous-estimé) reste l’ouverture et le maintien d’un compte bancaire professionnel. Les récents développements montrent que, pour les SARL comme pour d’autres types de structures, cette étape devient de plus en plus ardue.

 

Contexte récent : la stratégie de ING Luxembourg

Un des déclencheurs récents de ce débat est l’annonce faite par ING Luxembourg qu’elle allait se retirer progressivement de son activité de “Business Banking” (autrement dit, les comptes professionnels, les leases, etc.), pour se recentrer sur le “Personal & Private Banking” ainsi que sur le Wholesale Banking.

Concrètement, cela signifie :

  • Fermeture ou transfert des comptes professionnels existants.

  • Une offre de “référence” ou de “réorientation” vers d’autres banques (par exemple POST Luxembourg) pour certains clients concernés, mais tous ne remplissent pas les conditions pour en bénéficier.

  • Une période de transition qui s’étale jusqu’à 2026 pour terminer la désactivation de ces services.

Le motif invoqué : un choix stratégique — ING évalue que certains segments de clientèle (petites entreprises, comptes professionnels “quotidiens”) ne sont pas suffisamment lucratifs ou ne s’inscrivent pas dans sa stratégie future, en comparaison des services de banque privée, investissements, etc.

 

Les difficultés concrètes pour les SARL

Voici les principaux problèmes auxquels se heurtent les SARL ou les entrepreneurs cherchant à ouvrir ou conserver un compte bancaire au Luxembourg :

    1. KYC / AML : exigences renforcées

      • Depuis plusieurs années, les banques sont soumises à des règles de plus en plus strictes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et de connaissance du client (Know Your Customer – KYC). 

      • Pour les SARL, cela implique la fourniture de nombreux documents : identité des dirigeants, actionnaires (“beneficial owners”), origine des fonds, nature des activités, business plan, preuve d’adresse, parfois autorisations particulières selon le secteur. 

      • Ces procédures de vérification peuvent prendre beaucoup de temps, plusieurs semaines voire plus, surtout si le dossier est complexe ou si les actionnaires / propriétaires sont domiciliés à l’étranger ou dans des juridictions considérées “à risque”. 

    2. Formalités administratives lourdes

      • La SARL doit disposer d’un siège social au Luxembourg, présenter un enregistrement au Registre de Commerce et des Sociétés (RCS), déclaration de bénéficiaires effectif, etc. 

      • Les banques demandent souvent un plan d’affaires clair, une justification de pourquoi choisir Luxembourg comme base, des projections financières et parfois la preuve d’une substance économique locale (présence physique, employés, locaux, etc.). 

    3. Sélectivité et risque de refus

      • Les banques ont une politique de “customer acceptance” : elles ne sont pas obligées d’accepter tous les clients même si toutes les formalités sont satisfaites. Si le profil de risque est jugé élevé (secteurs sensibles, actionnaires étrangers, bénéficiaires effectifs peu transparents, liens avec des juridictions sous sanctions, etc.), le dossier peut être rejeté. 

      • Le cas de ING illustre cela : dans son recentrage stratégique, de nombreux clients professionnels voient leur compte clos ou transféré, non à cause d’un manquement particulier mais parce que la banque ne souhaite plus couvrir ce segment de clientèle moins rentable.

    4. Coût et délai

      • Parce que les formalités sont nombreuses, parce que les banques examinent en détail chaque dossier, les délais d’ouverture peuvent devenir très longs. Certaines sources parlent de plusieurs semaines ou même plus d’un mois, selon la complexité. 

      • Les coûts (cachés ou explicites) peuvent inclure frais de dossiers, de due diligence, éventuellement coûts de traduction, légalisation de documents étrangers, etc. Ces coûts peuvent peser particulièrement pour les petites SARL ou les nouveaux entrepreneurs.

 

Conséquences pour les entrepreneurs et pour l’écosystème

Les effets de ces difficultés ne sont pas négligeables :

  • Frein à l’investissement et au démarrage d’entreprise
    Quand l’ouverture de compte bancaire est longue, incertaine ou coûteuse, cela peut retarder le lancement des activités, dissuader des porteurs de projets, ou les pousser à chercher des solutions alternatives (banques étrangères, fintechs, institutions non bancaires), parfois au détriment de la crédibilité ou de la sécurité.

  • Risque de déséquilibre entre acteurs
    Les grosses entreprises ou celles ayant déjà une assise locale ou internationale bénéficient d’un avantage, parce qu’elles disposent des ressources (juridiques, administratives, financières) pour répondre aux exigences. Les SARL plus modestes ou fondées par des non-résidents sont davantage pénalisées.

  • Perte de confiance
    Pour un entrepreneur qui se voit refuser ou subir la fermeture de compte, même après avoir rempli les démarches, cela engendre frustration, incertitude, et risque vis-à-vis des tiers (fournisseurs, clients, salaires).

  • Impact sur la réputation du Luxembourg
    Le Luxembourg, qui s’est positionné comme un hub attractif pour les fonds d’investissement, la fintech, risque de perdre une partie de cette attractivité si les formalités bancaires sont perçues comme trop rigides ou instables.

 

Conclusion

L’ouverture d’un compte bancaire pour une SARL au Luxembourg, dans la conjoncture actuelle, ne doit plus être vue comme une simple formalité administrative, mais comme un processus stratégique, qui exige anticipation, préparation, et parfois patience. La stratégie de retrait d’ING des activités de Business Banking met en lumière ce qui devient de plus en plus une tendance : les banques cherchent à réduire les coûts, à se concentrer sur les activités les plus rentables, tout en respectant des exigences réglementaires accrues. Pour les SARL, cela implique de bien choisir leur banque, de constituer un dossier solide, et de prévoir des alternatives.